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Apprendre à déguster un vin

Notre démarche, bien que centrée sur la dégustation géo-sensorielle, ne se veut surtout pas exclusive ; c’est pourquoi nous la complétons par d’autres approches telles l’analyse sensorielle et la dégustation intuitive. Goûter le vin, retracer les étapes de son élaboration, saisir le coup de patte du vigneron, comprendre sa relation au terroir, identifier l’expression intime du vin, reconnaître et apprécier ce message que la vigne puise dans les profondeurs du sol : telles sont les pistes, parmi d’autres, que nous tentons d’explorer.

Le débat est foisonnant et les questions toujours plus nombreuses : qu’appelle-ton un vin de lieu, qu’est-ce qu’un vin de terroir ? Comment le vin raconte-il la terre sur laquelle pousse la vigne ? Qu’est-ce que le vigneron met en œuvre pour que ce message parvienne jusqu’à nous ? Quelles sont les bonnes méthodes pour appréhender cette connaissance ?

Nous savons que, sans cesse, il nous faudra questionner nos certitudes, nos pratiques, et c’est avec humilité que nous abordons ce parcours chaque jour renouvelé. Apprendre à déguster ne peut pas se limiter à l’initiation à la dégustation. Perfectionner la méthode et affiner l’expertise, confronter nos expériences, écouter parler le vigneron, entendre le vin nous raconter son histoire : dans cette quête permanente, nous savons que les surprises seront au rendez-vous et que l’émerveillement saura nous ravir. Que ce soit au détour d’un paysage, en entrant dans une cave, en débouchant un flacon ou en goûtant un vin, tous les moments et toutes les situations seront propices à alimenter notre passion partagée.

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La dégustation géo-sensorielle

Elle est le résultat d’un parcours de vie et de dégustateur fait d'échanges et de partage. Elle retient toute notre attention et focalise notre ambition de la rendre accessible au plus grand nombre. C’est une dégustation qui, contrairement à la dégustation analytique, est centrée sur toutes les perceptions tactiles du vin que sont la texture, la consistance, la température, la saveur et la salivation : l’ensemble du toucher de bouche.

Pourquoi la DGS ?

La dégustation géo-sensorielle ou DGS , est une dégustation qui se concentre sur les sensations tactiles perçues dans le vin. Elle trouve son origine dans la volonté de créer un langage universel, capable de raconter le terroir à travers le vin.  Cette démarche rend possible la perception des marqueurs révélateurs d’un terroir,  essentiels pour mettre en évidence la particularité d’un vin par rapport à un autre. Il convient cependant de rappeler qu’un vin de terroir n’est pas forcément un grand vin. En effet, certains terroirs sont plus « qualitatifs » que d’autres, et les hommes et les femmes qui les travaillent ne peuvent faire mieux que transmettre précisément le message qu'envoie le  terroir.

C’est pourquoi, l’objectif premier de la cette dégustation n’est pas de dire si le vin dégusté est un grand vin, mais d’essayer de percevoir si c’est un vin qui a été produit à partir de vignes cultivées de manière à laisser le terroir s'exprimer. La DGS  a pour vocation d’essayer de créer un langage, précis, mais le plus universel possible, centré sur le message que ce terroir pourrait nous transmettre, en s’appuyant sur des notions issues des neurosciences, de la physiologie du corps humain, et comme très souvent dans ce qui touche au vin, sur des observations empiriques.

Stéphane DERENONCOURT explique la DGS

(crédit Michel BESNIER)

Comment pratiquer la DGS ?

La Dégustation Géo-Sensorielle s’appuie sur 5 piliers, selon une démarche bien définie :

 

1 - Se libérer des informations trompeuses apportées par le sens de la vue

L’homme est un animal diurne et comme chez tous les animaux actifs le jour, les informations transmises par la vue monopolisent près de 80 % de l’attention exercée par le cerveau. Ceci laisse peu de place aux autres sens, notamment ceux de l’odorat, du goût et du toucher.

Vient de plus s’ajouter le phénomène d’anticipation qui va, sur la base d’expériences précédemment engrangées,  amener le cerveau à imaginer  - parfois sans fondement -  la suite la plus probable aux évènements qu'il est en train d’observer.

L’expérience de Morrot, Brochet et Dubourdieu (2001) est la parfaite illustration de ce que les psychologues appellent le biais de confirmation d’hypothèse. Lors de cette expérience,  Denis Dubourdieu, professeur d’oenologie à l’Université de Bordeaux, après avoir défini avec les oenologues de son école la liste des critères associés aux les vins rouges et ceux associés aux vins blancs,  a organisé pour eux une dégustation de 15 vins blancs et 15 vins rouges.

Pendant la préparation des vins, le vin blanc n°5 fut choisi pour être coloré d’un colorant rouge inodore et insipide, avant d’être intégré au panel de vins rouges, sans que les dégustateurs n’en soient informés.

A la fin de la dégustation tous les oenologues avaient décrit le vin n°5 en utilisant les descripteurs de vins rouges ! Cette expérience confirme que, lorsque l’information visuelle précède les informations gustatives et olfactives, le cerveau tend tout naturellement à privilégier l’information visuelle au point d’imposer à nos sens la perception de ce qu’il a anticipé. Cette expérience a, depuis, été confirmée à de nombreuses reprises par d’autres chercheurs des neurosciences.

Ainsi, la vue peut devenir un handicap à l’objectivité, et une faiblesse pour le dégustateur, qui risque donc de passer à côté d'informations essentielles que le vin lui transmet. Accepter de se priver de la vue permet de redistribuer l’attention du cerveau vers nos autres sens. C’est pour cette raison que la dégustation géo-sensorielle privilégie les verres noirs, mais aussi  une lumière tamisée, voire  un bandeau sur les yeux.

 

2 - Potentialiser le fonctionnement respectif des systèmes olfactif et gustatif

Le système olfactif comporte 400 récepteurs, ce qui fait de lui le plus fourni de nos sens. (C’est d’ailleurs pour cela qu’il est aussi agréable de s’y attarder.) Malheureusement, la différence de sensibilité des récepteurs entre les individus peut être très importante. Elle peut varier de 1 à 10.000, en d’autres termes, alors qu’il faudra à une personne une concentration de 1 pour percevoir l’arôme de la fraise, il faudra à une autre, parfois, une concentration de 10.000 pour sentir ce même arôme. Cette différence entre les récepteurs des dégustateurs, même entraînés, rend le discours subjectif et la communication compliquée.

A l’inverse, le système gustatif ne comporte que 29 récepteurs (peut-être 33, des recherches sont actuellement en cours). Une expérience réalisée dans les années 80 sur la perception du goût sucré a démontré qu’entre les personnes, même celles ayant des habitudes alimentaires très éloignées, la différence de perception de cette saveur était comprise de 5 à 10. Le goût est donc un sens beaucoup plus universel, ce qui constitue pour l’analyse d’un vin, un atout considérable.

C’est pourquoi,  à la différence d’une dégustation analytique, la DGS ne prend pas en compte l’analyse des arômes. Et quand elle est faite, il est surtout très important qu’elle soit réalisée après avoir goûté le vin, afin de laisser le cerveau vierge  de tout biais de confirmation d’hypothèse.

La DGS vue par un vigneron, Florian BECK-HARTWEG

(crédit "Le Jus de la Vigne")

3 - S’appuyer sur le rôle primordial des sensations trigéminales

Il s’agit ici des sensations, tactiles et thermiques, véhiculées par le nerf trijumeau qui relie notre langue, nos dents, notre nez et nos yeux, au cerveau. C’est ce nerf qui nous fait pleurer et nous brûle la langue quand nous mangeons un plat trop pimenté, ou qui nous fait mal aux dents et à la tête quand nous dégustons une glace trop froide. Il nous délivre les informations sur la consistance, la texture, la température du vin, ainsi que sur les lieux où ces sensations sont perçues.

Ce sont elles qui vont nous raconter le terroir qui a vu naître ce vin, au-delà du cépage et grâce aux hommes et femmes qui ont su s’effacer pour transmettre son message.

Romain Lebrun, étudiant d’AgroParisTech, et Anselme Selosse, vigneron champenois que précède sa réputation, en ont fait l’expérience. Ils ont pu constater que certains terroirs de Champagne avaient, comme l’eau minérale Hépar, une texture et une consistance particulière en raison de leur forte teneur en magnésium. Par empirisme, on constate en récurrence que le vin retranscrit  dans les sensations véhiculées par le nerf trijumeau la présence des minéraux et nutriments que les racines de la vigne ont puisé dans le terroir. Ces sensations nécessitent donc, lors de la DGS, une attention toute particulière.

 

4 - Comprendre le rôle fondamental de la salive

Lors de la dégustation, ce que nous percevons réellement, ce n’est pas le vin, mais plutôt un mélange vin-salive, et c’est ce mélange qui va enclencher les réactions physiologiques évoquées précédemment. La salive joue pour l’homme un grand nombre de rôles sans lesquels il ne pourrait se maintenir en bonne santé. Celui qui nous intéresse ici est son incroyable pouvoir tampon qui oeuvre sans relâche à maintenir le milieu buccal à un pH (taux d’acidité) voisin de 7, c’est-à-dire neutre. Le vin, quant à lui, a un pH acide, aux alentours de 3. Aussi, dès qu’il entre en bouche, la salive va-t-elle entrer en action pour jouer son rôle de régulateur.

On a pu observer au fil des dégustations  que la concentration en minéraux  du vin augmentait la production de salive ; de même, la salivation produite en présence d’acides aminés ou d’autres minéraux était plus ample et ronde que celle produite par l’acidité du vin. Tout comme lors de l’expérience sur l’eau minérale Hépar décrite précédemment, certains minéraux et composants du vin (protéines, etc ...) pourraient influer sur la perception de sa consistance en bouche, du fait en partie de la production différenciée de salive.

Les glandes salivaires produisent ainsi trois types de salive, selon les glandes stimulées, que peut-être, la recherche permettra bientôt d’attribuer à certains types de composés du vin :

  • les glandes salivaires sub-linguales situées à l’avant de la bouche produisent une salive plutôt visqueuse mais en quantité limitée ;

  • à l’inverse celle produite à l’arrière, par les parotides,  est plus abondante et plus fluide.

  • quant aux glandes sous-maxillaires, sous les côtés de la langue, leur salive est assez abondante mais un peu plus visqueuse. 

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La position des différentes glandes salivaires en plan sagittal

Ces différences de quantité et de qualité sont faciles à analyser si on y attache un peu d'attention et fournissent de précieuses informations. On a également observé, lors de nos différentes dégustations, qu'il existe une salivation «défensive » et une autre plus « accompagnante ». La salivation qui peut être perçue comme "défensive"  semble être le résultat d’une sous-maturité des raisins, voire d’un ajout oenologique. Tandis que la salivation "accompagnante" pourrait être l’expression affirmée du terroir. Notre groupe de dégustateurs continue de travailler sur cet axe de compréhension du message des terroirs.

La salivation étant un réflexe qu'on ne peut contrôler consciemment, son observation  nous fournit des indices fiables et cruciaux sur la nature du lieu dont est issu le vin, tout en participant activement au plaisir de la dégustation et à la digestibilité du vin. N’oublions pas cependant,  que chaque individu a une production de salive qui lui est propre et que la sensibilité à l’acidité peut être très différente d’un individu à l’autre. Néanmoins, bien que nous ne percevions pas tous l’acidité avec la même intensité, les lieux de stimulation restent communs. C’est pourquoi l’analyse de notre salivation reste un des indicateurs privilégiés de la DGS pour identifier le terroir.

 

5 - Percevoir la géométrie du vin

Les formes géométriques font référence à la structure en bouche, laquelle se précise par la synthèse des lieux de la salivation et des sensations procurées par le vin. On pourra ainsi parler d’une direction verticale, horizontale ou sagittale (d’avant en arrière) de la salivation, du volume de la matière, de la forme que prennent les sensations ressenties, et de la netteté du vin en lien avec la facilité ou non à percevoir ces sensations.

Prenons par exemple, un vin qui ferait particulièrement saliver sur les bords latéraux de la langue : il sera dit horizontal. Autre exemple : si ce même vin, à la salivation horizontale, procure en parallèle des sensations aux quatre coins de la bouche, de façon anguleuse tels que certains vins charpentés à la structure large bien marquée (comme certains vins produits sur des substrats argileux), il sera dit carré ; dans d’autres cas, il pourra être horizontal, mais être perçu comme sphérique et souple parce que remplissant l’ensemble de la cavité buccale à la manière d’une balle élastique.

La géométrie est un élément important de la DGS  même si, dans certains cas, elle apparait comme le plus abstrait des éléments qui nous guident. Elle permet cependant de se construire une représentation mentale du vin et une image du toucher de bouche , essentielle pour l’appréciation des particularités du vin et pour la reconnaissance du terroir.

Il est important de bien comprendre que lors d'une dégustation géo-sensorielle, le  vocabulaire du vin n'a, à aucun moment, vocation à critiquer un vin. Aborder la dégustation avec cette optique ne peut qu’empêcher l’analyse sincère du produit dégusté tout en niant le fait que seul compte la recherche de l’équilibre. D'autant plus que certains « défauts »  apparents peuvent  contribuer à cet équilibre. Ainsi, une perception « malveillante » peut être un marqueur de terroir, de même qu’une salivation « fuyante », ou qu’une consistance « huileuse ».

Tout comme pour les femmes et les hommes qui nous entourent, qui peuvent être grands ou petits, blancs ou noirs, blonds ou bruns, ces caractéristiques ne peuvent, en aucune manière, servir à établir une hiérarchie.

On ne dira jamais assez que l’objectif de la DGS est de parvenir à décrire les sensations de bouche afin de répondre le plus justement possible à la question qui nous concerne :

« Suis-je en train de déguster un vin empreint de son terroir ? »

Du fait des limites observées lors de la dégustation analytique, la dégustation géo-sensorielle  tente ainsi de proposer une autre manière de déguster. Elle contribue à nous faire prendre pleine conscience de l’importance du toucher et à analyser pour les comprendre ces sensations. Le sens du toucher est en fait essentiel dans l’appréciation des produits de dégustation, et plus largement dans notre perception du monde. Loin de nous l’idée opposer ces deux dégustations, mais plutôt de les considérer  comme deux façons complémentaires d’analyser et de goûter le vin.

La DGS constitue encore un champ immense d’exploration et de découverte dont nous ne connaissons pas encore les frontières, et qui, de par  l’expérience grandissante des dégustateurs et des apports de la recherche, nous offre une nouvelle manière de voir le monde et de comprendre notre perception de celui-ci.

 

La dégustation géo-sensorielle s'inspire de pratiques traditionnelles, parfois oubliées, parfois pratiquées de façon intuitive. C'est en quelque sorte la résurgence, après plus de deux siècles d'absence pour cause de révolution, de la Corporation des Gourmets qui étaient " les gardiens de la spécificité des vins de lieu "  comme l’explique très bien Jacky Rigaux. Organisés en corporation dès le Moyen-Âge, ils avaient pour rôle principal de vérifier, par la dégustation géo-sensorielle, que la provenance indiquée sur un tonneau correspondait effectivement au vin dégusté.

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Le vigneron tient donc une place primordiale puisqu’il lui appartient de comprendre la grandeur de son terroir et de s’assurer que les actions nécessaires à la conduite d’une vigne ou à l’élaboration du vin ne nuiront pas à l’expression du sol.

La DGS, dégustation géo-sensorielle, est aujourd’hui portée par un groupe d’amateurs et de professionnels d'horizons variés, qui ont en commun la passion des produits du terroir, et qui ne demandent qu'à accueillir parmi eux tout amateur curieux de se laisser entraîner vers de passionnantes découvertes. 

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